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La magie relative des sondages et enquêtes d’opinion

Comment, en interrogeant une poignée de personnes (le panel), les instituts de sondage parviennent-ils à connaître à l’avance une décision qui n’est pas encore prise par une foule ? Le résultat d’une élection par exemple. Ou le score des chaines de télévision en prime time. Ou l’avis des consommateurs un mois après la sortie de la nouvelle version d’un logiciel…

Dès que les mathématiciens ont démontré qu’il était statistiquement possible de prévoir les mouvements (décisions, préférences, choix) d’un très grand nombre d’individus à partir des intentions connues d’un « échantillon représentatif de la population », les applications pratiques n’ont pas tardé.

Le monde du marketing s’est emparé de l’outil pour connaître les intentions d’achat et les taux de satisfaction des clients. Puis, très vite, dans les démocraties modernes, les partis politiques ont voulu connaître leur prochain score électoral en fonction du contexte économique et social et des grands points du programme défendu. En fonction des résultats, il serait toujours temps de tester d’autres options. Après tout, les valeurs et les décisions politiques peuvent être vues comme les « produits » que les électeurs vont « acheter »…

C’est en 1936 que Georges Gallup crée l’American Institute of Public Opinion et prédit, à contre-courant des journaux d’opinion, la victoire de Roosevelt la même année. Deux ans plus tard, plusieurs sociétés d’enquêtes d’opinion ont vu le jour et la société IFOP réalise le premier sondage en France. 57% seulement des Français sont favorables aux tout récents Accords de Munich tandis que 87,5% des députés les approuvent par un vote. L’année suivante, l’Histoire donnera raison au peuple. Et à l’IFOP.

Le Graal de l’échantillon représentatif

Aujourd’hui, sondages et enquêtes d’opinion sont très utilisées en politique. Mais on s’en sert aussi énormément pour mesurer les audiences des médias et réaliser les myriades d’études de marché indispensables au marketing.

Alors comment les statisticiens réussissent-ils ce tour de mentalisme qui, contrairement aux apparences, n’a rien d’une divination ?

Un sondage ou une enquête d’opinion repose sur l’analyse des intentions et ressentis d’un échantillon pour en déduire le choix moyen de l’ensemble. Dans le monde de la statistique, il existe deux façons de prédire la décision d’une population.

  • La méthode probabiliste. On tire des individus au hasard et on leur pose des questions. Si la population est homogène et si les individus qui la composent ne présente quasiment pas de différences entre eux, cette méthode fonctionne. Mais en réalité, une population humaine n’est pas homogène. Les gens diffèrent dans leur culture, leurs opinions religieuses, leur niveau d’instruction, le lieu ou ils vivent, leur âge, leur sexe, leur métier, etc. Donc cette méthode ne fonctionne pas bien. Ou alors, il faudrait que l’échantillon soit tellement vaste qu’il atteindrait presque la taille de la population globale.
  • La méthode non-probabiliste. On considère ici que les caractéristiques des individus comptent et que toutes « ne pèsent pas le même poids ». L’échantillon n’est donc pas pris au hasard, mais doit refléter la réalité de ces caractéristiques : une proportion d’hommes et de femmes, une répartition des âges et des catégories socio-professionnelles semblables à celles de la population… On parle alors d’un « échantillon représentatif ».

L’effet troupeau ou la courbe de Gauss

Pour qu’un sondage fonctionne, il faut aussi que la population dont on cherche à connaitre les intentions ou les avis soit vaste, qu’elle soit composée d’un très grand nombre d’individus.

Selon la théorie mathématique des variables aléatoires continues, la moyenne des choix individuels suit alors La Loi Normale dont la représentation la plus connue est la courbe en cloche ou courbe de Gauss. Elle illustre souvent la répartition du quotient intellectuel dans la population. Une énorme majorité des individus se retrouve autour de la moyenne et quelques rares personnes sont bien en dessous ou bien au-dessus.

C’est pareil pour les opinions ou les ressentis dans une population de mêmes caractéristiques.

Alors quand on additionne les courbes des populations représentant toutes les caractéristiques, on obtient une « photographie acceptable » de l’opinion globale.

De façon intuitive, mais aussi mathématique, on comprend que plus l’échantillon est grand, plus la netteté de la photo est fine. Si l’échantillon est aussi vaste que la population, la photo est aussi précise que la réalité. Et plus l’échantillon est petit plus on a « du grain ».

On recherche donc l’intervalle de confiance. En France, on estime que le compromis acceptable est de 95%. Pour l’atteindre, seuls quelques milliers de personnes suffisent pour connaitre les intentions d’une dizaine de millions d’électeurs, par exemple. Ce qui ressemble à de la magie si l’on ne se penche pas sur ces mathématiques.

Les limites humaines de l’exercice

De gros bémols sont cependant à apporter à ces techniques de sondage. En effet, ils ne sont fiables qu’à certaines conditions :

  • l’échantillon est sincère, or certains sondés aiment truquer leurs réponses pour prendre en défaut l’outil d’analyse au nom de la défense du libre arbitre,
  • l’échantillon est sondé peu de temps avant la consultation réelle pour que le moins d’événements possible ne vienne perturber son avis définitif,
  • les acteurs de la consultation jouent le jeu et ne sortent pas de leur chapeau et au dernier moment des révélations scandaleuses ou des annonces révolutionnaires. C’est aussi pour cela qu’en France la campagne électorale s’arrête le vendredi soir et le silence politique s’impose jusqu’à la promulgation des résultats du scrutin. Et, pour que le résultat d’un sondage ne soit pas lui-même l’évènement qui vienne le fausser, les sondeurs sont eux aussi condamnés au silence durant cette trêve.

I. RIDENE