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Due diligence et intelligence économique en Afrique : un marché toujours si prometteur

Avec 46 milliards de dollars d’IDE en 2018, l’Afrique compte parmi les zones géographiques du monde qui attirent le plus de capitaux étrangers. Seulement, le continent reste pour nombre d’investisseurs étrangers un labyrinthe, car il a ses règles propres qui parfois s’écartent des standards internationaux. En effet, investir en Afrique est, il faut l’avouer, plus qu’ailleurs, une entreprise risquée. Plusieurs raisons expliquent cet état de fait.

Dans cet article, il s’agira d’exposer dans une première partie la genèse de la due diligence et de l’intelligence économique en Afrique. Dans la deuxième partie nous traiterons des spécificités des marchés africains avant de mettre en lumière les principaux acteurs de l’intelligence économique en Afrique dans la dernière partie de notre développement.

Genèse de l’intelligence économique en Afrique

Quoique la frontière est très mince entre due diligence et intelligence économique, ces deux concepts ont tout de même des périmètres bien définis. En effet, la due diligence est en amont de l’intelligence économique. C’est «une enquête dont l’effet final recherché est de prévenir tout risque de tromperie ou de réputation au cours d’une transaction et, ce faisant, d’agir en bonus pater familias», selon Guy Gweth, expert en intelligence économique. L’intelligence économique s’appuiera ensuite sur les éléments recueillis et traités lors de la phase de due diligence pour prendre les meilleures décisions stratégiques. Dans le langage courant, lorsque l’on fait référence à l’intelligence économique, l’on sous-entend donc la due diligence de façon implicite.

De sources concordantes, l’intelligence économique a fait son apparition sur le continent à la fin des années 1990 avec la société Sopel International de Amath Soumaré. Créée en 1995, cette société appuyée par la Banque mondiale organisait alorsles premiers colloques sur l’intelligence économique en Afrique. Plus tard, au début des années 2000, les premiers cabinets en intelligence économique firent leur apparition sur le continent à la faveur du retour au pays des tout premiers diplômés de la célèbre École de Guerre Économique de Paris.Ce n’est que plusieurs années plus tard, en 2009, que fut créée la première École Panafricaine d’Intelligence Économique et Stratégie (EPIES) par Socrate Babacar Diallo, psychologue et polémologue réputé. Cette école a sanctionné ses premiers diplômés en 2010.

Aujourd’hui, plusieurs entreprises et cabinets africains se partagent un marché florissant où la demande est plus en plus forte à mesure de l’intérêt grandissant dont est l’objet le continent. Selon une étude récente de l’École de Guerre Économique, les multinationales étrangères représentent aujourd’hui 60% du portefeuille des cabinets africains en intelligence économique. Malgré ces performances fort honorables, l’intelligence économique connait encore des péripéties dues aux réalités africaines.

Spécificités des marchés africains

La collecte de l’information est une étape cruciale dans une mission de due diligence. À cet effet, l’on distingue trois niveaux d’information selon le degré de confidentialité :

 L’information blanche, qui ne fait l’objet d’aucune restriction quant à son accessibilité ainsi qu’à son acquisition. Elle est généralement rendue publique.

– L’information grise, qui requiert quant à elle, un niveau minimum d’expertise, voire des moyens techniques avancés pour être acquise. En effet, celle-ci n’est offerte qu’à un public restreint lors d’évènements spécifiques tels que les salons, conférences ou colloques par exemple. Aussi, est-il nécessaire de recourir à des techniques propres au data mining et au big data pour l’extraire de l’ivraie .

– L’information noire qui constitue la part inaccessible de l’information. Son acquisition suppose donc le recours à des moyens illégaux tels que le piratage informatique lourdement sanctionné par la loi.

La due diligence s’intéresse donc à l’information blanche et à l’information grise qu’elle s’attèle à retraiter afin d’en extraire le renseignement. En effet, 80% de la matière dont celle-ci à besoin se retrouve à ces deux niveaux.

Seulement, la culture du secret qui reste très ancrée dans les mœurs africaines rend difficile le travail du spécialiste en intelligence économique. Cette culture du secret s’explique d’une part par les pesanteurs sociologiques et d’autre part, par l’absence d’infrastructures juridiques coercitives pour les entreprises et les dirigeants. D’ailleurs, l’État reste le premier responsable de cette omerta.

Dans un tel contexte, il est évident que s’engager dans un partenariat avec une entreprise ou avec un associé en Afrique est plus risqué qu’ailleurs, car il n’est pas rare que même des entreprises régulièrement inscrites au registre de commerce ne sont pas pour autant à jour dans la publication ni la certification de leurs états financiers par un commissaire aux comptes. Toute chose qui rend pénible l’évaluation des entreprises africaines notamment celles non cotées.

Enfin, un autre obstacle qui rend ardue la pratique de la due diligence en Afrique est l’économie informelle. En effet, celle-ci représente entre 20 et 65% du poids de ces économies selon un rapport récent de la Banque mondiale et échappe encore au pouvoir régalien des pays concernés notamment aux régies financières. L’un des effets néfastes de ces économies informelles est la contrefaçon qui constitue une sérieuse entrave à l’investissement sur le continent. Selon les organisations internationales, la contrefaçon représente aujourd’hui 30 à 80% des produits vendus sur le continent selon les secteurs contre 10% seulement au plan mondial.

Les principaux acteurs de la due diligence et de l’intelligence économique en Afrique

La période 2000-2015 a été surnommée les «15 glorieuses de l’intelligence économique» en Afrique. Et pour cause, l’intelligence économique a véritablement connu son essor sur le continent au cours de cette période. Aujourd’hui, l’on compte dans la quasi-totalité des pays de l’Afrique francophone des associations ou des creusets fédérant tous les acteurs du domaine. Le Forum des Associations Africaines en Intelligence Économique (FAAIE) créé en 2018 et actuellement présidé par le Pr Driss Guerraoui a pour mission essentielle de coordonner les actions des différentes associations nationales. Mais des initiatives existaient déjà bien avant cette année. En effet, l’histoire de l’intelligence économique en Afrique est nantie de plusieurs années marquantes :

– 2005 : le Sénégal crée par décret l’Agence sénégalaise de promotion des exportations (Asapex). Le terme «intelligence économique» apparait pour la première dans un document officiel ;

– 2006 : l’Algérie inscrit pour la première la question de l’intelligence économique à l’ordre du jour d’un conseil des ministres afin d’impulser une dynamique au niveau des entreprises ;

– 2007 : la plateforme d’intelligence économique DATABANK Tunisie est lancée, elle est exclusivement accessible au entreprises du secteur financier et vise à centraliser les informations blanches et grises de la Tunisie.

– 2016 : les premières assises africaines de l’intelligence économique sont organisées à Casablanca le portail africain de l’intelligence économique est organisé la même année.

En moins de dix ans (2006-2015), plusieurs associations consacrées à l’intelligence économique voient le jour dans plusieurs pays africains (Tunisie,Bénin, Côte d’ivoire, Maroc, Tchad ….).

On compte aujourd’hui plusieurs initiatives et cabinets d’intelligence économique à travers le continent. L’on pourrait citer pêle-mêle le Centre Africain de Veille et d’Intelligence Economique (CAVIE), la Communauté Ivoirienne d’Intelligence Économique (CIIE), l’ASEPEX au Sénégal, le Réseau Tunisien d’Intelligence et de Veille Économique (RIAVEC), le cabinet ARIS à Abidjan en Côte d’ivoire, et bien d’autres.

Malgré les performances des différents acteurs impliqués dans l’impulsion de la due diligence et de l’intelligence économique sur le continent, ce domaine reste affaibli par plusieurs lacunes.

En effet, si les acteurs ont réalisé des efforts louables les deux dernières décennies pour hisser haut l’intelligence économique sur le continent, il est à déplorer le manque de volonté des acteurs étatiques qui semblent toujours réticents à lever les goulots d’étranglement cités plus haut notamment en ce qui concerne l’information financière et économique.

Selon Guy Gweth, président du CAVIE, 40% de l’information relative à la situation socio-économique du continent restent sujette à «une imprécision et une mauvaise interprétation».

Par ailleurs, il est à souhaiter une prise de conscience des acteurs politiques pour tenir compte des nouveaux risques auxquels sont exposés les PME africaines.

Avec l’évolution et les profondes mutations que connait les secteurs technologiques, ces fleurons de l’économie africaine sont davantage menacées par leurs concurrents étrangers. Dans un monde où la guerre numérique prend de l’ampleur, la protection du patrimoine informationnel est une affaire de sécurité nationale.

Iyadh Ridene

CEO DATAS, Membre du Bureau  CAVI-Tunisie